Atelier d’écriture journalistique Médiathèque de Blain

FEBRILE

A l’occasion des ateliers d’écriture journalistique à la médiathèque de Blain que j’animais une fois par semaine, Marie Pesnel a choisi de livrer le portrait intime d’une patiente en soins psychiatriques qui essaie, chaque jour, à apprendre à vivre. Un portrait poignant.

Rouge à lèvres flamboyant, cheveux blonds platine et talons aiguilles hauts perchés, Sabrina, 37 ans, fait retentir la sonnette de cette maison en apparence banale. Nous sommes au Centre de jour de la Clinique du parc. Après elle, dix autres patients arrivent au compte-goutte. Le café est déjà prêt. Elle se sert une tasse, « mais sans sucre, ça fait grossir », elle précise. Sabrina n’ose pas me regarder dans les yeux, qu’elle porte le plus souvent sur sa french manucure. Et elle confie malgré sa pudeur : « De toute façon, ça durait depuis tellement longtemps qu’il fallait que ça craque un jour. On ne peut pas porter un masque toute sa vie ».

Elle vient de Sarthe. Ses parents tenaient une ferme. Son père, « le vieux », est décédé et sa mère est en maison de retraite. Ses yeux se lèvent sur moi, et avec un léger sourire, elle poursuit : « J’ai commencé à faire de l’anorexie très jeune. ». Son père « semblait vivre dans son monde », sans lui prêter attention et a contrario sa mère l’encourageait à perdre du poids grâce à des plats sans sauces, sans pain et sans féculents. Du haut de ses 1m60, elle est passée de 55 à 42kg. « Ma mère a fini par s’inquiéter » dit-elle « alors elle m’a conduite chez le médecin de famille. Je n’avais pas le choix, si je ne reprenais pas de poids, alors je finirai à l’hôpital avec une sonde pour m’alimenter ». Sabrina a donc reprit du poids, vite, très vite, de peur de se retrouver à l’hôpital. Sous les apparences tout semblait être rentré dans l’ordre. Mais, « dans ma tête c’était le bordel. Je suis tombée dans la boulimie ».

Sabrina était une très bonne élève, une des premières de sa classe, bien déterminée à quitter la classe ouvrière dont elle est issue. Elle veut « réussir sa vie ». Elle part alors à Nantes pour y suivre des études à l’Université. « L’école de management était trop chère pour mes parents et la fac ça faisait déjà la fierté de mes parents ». Elle a donc fait une licence en Langues Étrangères. Ses yeux se lèvent au ciel. Sa vie a continué. Sabrina a obtenu sa Licence tant bien que mal et a abandonné en Master 1. « Ce n’était pas fait pour moi ». Les prémices de sa future maladie commencent déjà à cette époque.

Le moral va et vient et Sabrina connaît plus de bas que de hauts. Elle commence à se mutiler avec une lame de rasoir sur les bras et sur les cuisses. Elle boit et mélange les médicaments que les premiers médecins lui on prescrit pensant qu’elle était dépressive. Les années passent et son état ne s’améliore pas. En parallèle, elle travaille en tant qu’hôtesse d’accueil . « Je faisais la potiche et ça ne me demandait que peu d’efforts ». Elle enchaîne les contrats : CDD, rupture de CDI, chômage. Puis sa première tentative de suicide. Elle est alors hospitalisée dans une unité pour jeunes en difficulté dans un grand hôpital de la région. Deux semaines après elle était de nouveau « livrée à elle-même » comme elle le dit si bien. Soupir. Le temps passe et tout continue : les idées noires, les scarifications, l’alcool puis en janvier dernier elle tente une deuxième fois de mettre fin à ses jours. Elle est envoyée aux urgences et s’ensuit une hospitalisation à la Clinique du Parc. Clinique privée réputée. Elle y passe 2 semaines et demi, requinquée puis récidive. Troisième tentative de suicide en février dernier. « Je ne sais pas ce qu’il se passe dans mon cerveau à ce moment là. Je souffre tellement que j’ai envie que tout s’arrête. Je n’ai pas peur de mourir. C’est une pulsion suicidaire » Elle hausse un petit sourire en coin rebelle. Sabrina reste dans le coma et passe très près de la mort cette fois-ci mais « ça ne me fait ni chaud ni froid » me dit-elle. Il aura fallu presque 10 ans au psychiatre qui la suit pour enfin établir un diagnostic. Le bon.

Sabrina est Borderline. « C’est pas connu comme maladie et comme en plus c’est un truc psy, ça fait flipper les gens ». Il aura fallu 3 tentatives de suicide et de multiples scarifications pour être enfin sûr et certain de la pathologie dont elle souffre. « On ne peut pas établir un diagnostic sur une seule tentative de suicide ou encore sur une seule période de scarification ». De nos jours, les psychiatres rencontrent encore de très grandes difficultés à établir un diagnostic car il faut suivre un patient de nombreuses années pour comprendre son fonctionnement et voir ce qu’il ne va pas. Il doivent également tenir compte de leur histoire. « Mon père buvait. Ça ne plaisantait pas à la maison. On avait tous peur de lui. On ne m’a jamais autorisé à être heureuse petite. Peut-être que tout vient de là » me confit-elle.


Cela fait maintenant 4 mois qu’elle est en hôpital de jour, la continuité de son séjour à la Clinique du Parc, et elle ne sait pas quand elle sortira. « Je me sens fébrile. J’ai l’impression de me découvrir. De ré-apprendre à vivre. D’apprendre à vivre tout simplement. Quand aujourd’hui on me demande ce que je fais dans la vie, je leur réponds juste que j’apprends à vivre ». « Je suis sur la bonne voie » me confie-t-elle. Mais « chaque chose en son temps »…

Portrait écrit par Marie Pesnel